L'immersion, c'est merveilleux. À tout point de vue.
Merveilleusement pédagogique, merveilleusement intense, et aussi merveilleusement
difficile. L'immersion, c'est entendre parler japonais dès que vous sortez le
nez de votre chambre d'étudiant de 15 mètres carrés, et ce pour le reste de la
journée, à moins que vous ne croisiez de temps en temps votre camarade
française. Et c'est, d'ailleurs, entendre parler japonais, et pas forcément par
des japonais eux-mêmes.
Prenons comme exemple ce charmant monsieur B., 27 ans,
ryûgakusei comme moi, et venant d'un pays limitrophe au mien : l'Allemagne. Moi
ne baragouinant pas un mot d'allemand et lui, visiblement dans le même cas avec
le français, il faut bien qu'on ait recours à cette langue de l'autre bout du
monde pour pouvoir communiquer – encore que, manquant visiblement tous les deux
d'un certain talent en sociabilité, nos conversations, tout en japonais
soient-elles, se limitent à des borborygmes à propos d'un cours qui a été
déplacé ou d'une salle qui a changé.
L'immersion, c'est être capable de comprendre le discours
d'une prof tout en étant incapable de déterminer la construction de ses phrases
et les mots qu'elles a utilisés tant c'est passé à toute allure – et malgré
tout, avoir compris quand même et se dandiner d'un air fier sur sa chaise ; et
se ratatiner comme un pruneau trois secondes après quand on se fait interroger
sur le seul truc qu'on a pas compris.
C'est également s'adapter au type d'interlocuteur : poli
avec les professeurs, familier avec les élèves. Tout un langage qui change en
conséquence. Par exemple, pour demander à quelqu'un du bureau où est le
professeur Yano, vous direz : "ano, sumimasen… Yano-sensei wa doko ni
irasshaimasuka ?". Enfin, vous direz ça si vous voulez vous la péter,
parce que c'est du langage honorifique et qu'en tant que gaijin (étranger),
vous n'êtes pas censé le maîtriser. Si vous voulez rester sobre, mais poli,
vous direz "ano, sumimasen… Yano-sensei wa doko ni imasuka ?" et ça
passera très bien.
Par contre, si vous voulez demander à un pote où il est, pas
besoin d'y mettre les formes. Un "ima, doko ni iru ?" ("t'es où,
là ?" ou, mot à mot : "maintenant, où t'es?") suffira amplement.
Voire même un "ima, doko ?" (maintenant, où ?). La base de la
conversation entre amis, c'est de réduire les phrases à leur plus forme la plus
basique (mais pas forcément la plus simple quand on est habitué au langage
poli, malheureusement).
Entre potes, même les particules foutent le camp. Par
exemple, au lieu d'avoir un belle phrase telle que "intanetto wo tsukaitai
desu ka ?" (soit "voulez-vous utiliser internet ?") avec le
"wo" qui indique le complément d'objet, le "desu" pour le
côté poli de la phrase, et le "ka" pour le côté interrogatif, on aura
juste les mots-clés de la phrase, à savoir "intanetto tsukaitai ?".
Pas besoin du "wo", on sait bien que c'est intanetto le complément
d'objet. Pas besoin du "desu" de politesse, on est entre potes. Pas
besoin du "ka", si l'intonation de la phrase monte à la fin, on sait
bien que c'est une question. Si la conversation polie est un corps humain, la
conversation entre amis, c'est juste son squelette, son minimum vital.
Bref. L'immersion, c'est censé vous apprendre ça aussi, mais
pour l'instant, j'ai encore du mal avec la conversation entre amis, alors je
parle plutôt en mode poli. De toute façon, faut être poli dans la vie.
Mais l'immersion, ça ne s'arrête pas là. C'est aussi jeter
le trouble dans votre esprit. Oh, ça commence de façon simple. Vous rentrez
chez vous après une chaude journée passée à marcher ou à faire les courses, et
vous pensez, "aaaaah ! Tsukareta !" (soit "aaah ! j'suis
fatiguée !"). Vous ne vous en rendez même pas compte. Puis vous allez
faire les courses, et vous vous dites "quand même, la bouffe dans ce
suupaa (supermarché) c'est super takai (cher), je me demande si je vais avoir
assez avec san zen en (3000 yens)". Ah, quand vous commencez à penser même
les chiffres en langue-cible, c'est que ça devient bon. D'habitude, enfin, en
ce qui me concerne, c'est ce qui a le plus de mal à passer. Exemple inverse de
ce que je viens de citer : vous lisez une phrase quelque part, et quand vous la
récitez dans votre tête, ça devient : "Fuji-san no takasa wa trois-mille
sept-cents soixante-seize metoru desu." (La hauteur du Fuji-san est de
3776 mètres). Parce que bon sang, que c'est embêtant de traduire ce genre de
nombres en japonais…
Bref, je m'égare. Vous commencez donc à penser en japonais.
Et c'est très bien. Ça veut dire que l'immersion a des effets sur vous. Vous
rentrez chez vous, vous pensez en mi-français, mi-japonais, et parfois même
vous utilisez des termes que vous avez entendu dans la journée, sans être tout
à fait sûr de leur sens. C'est le moment de vérifier. "Dakara, gutaiteki
ni… Hmm ? Gutaiteki ni ? Ça veut dire quoi déjà ? Aaah, oui, ça veut dire
"concrètement"… ok…". Parfois, vous regardez le mot dans le
dico, et une demi-heure après, quand c'est le moment de le replacer dans votre
article de blog, vous avez déjà oublié ce qu'il veut dire. Qu'à cela ne tienne.
Vérifiez à nouveau. L'immersion, c'est aussi une question d'opiniâtreté.
Le moment où vous vous dites que ça n'a pas que des avantages, c'est quand, en bon
toutou, la queue frétillante d'excitation, vous suivez votre prof responsable
japonaise jusqu'à l'endroit où se déroule votre futur cours d'anglais, tout en
conversant en japonais avec elle, et le reste. Puis vous arrivez dans cette
salle où se déroule le cours. Et là, panique ! Vous ne savez plus dire un seul
mot en anglais ! Tout ce qui vous vient, c'est du japonais. Jusqu'à présent, ça
m'était surtout arrivé de confondre le japonais et l'espagnol, car mon niveau
était intermédiaire dans ces deux matières, alors que je maîtrisais mieux
l'anglais. (Et puis, personnellement, je trouve que les sonorités du japonais
et de l'espagnol se ressemblent vraiment, mais c'est subjectif.) Mais là,
catastrophe ! Le prof, qui doit sans doute être irlandais vu son accent, vous
pose des questions en anglais, et il n'y a que des réponses en japonais qui
vous viennent !
Vous vous retrouvez donc à répondre "euuh, chotto dake
!" à la place de "just a little bit", ou à dire "arigatô
gozaimasu" à la place de "thank you" ; ou pire, à faire la jikô
shôkai (eh oui, nouveau cours, nouvelle jikô shôkai) de votre voisin, et à
dire, devant une classe de trente japonais : "I'd like to introduce my
partner. His name is Yuuki, he comes from Anjô, his favourite food is
misokatsu, his favourite sport is yakyuu… euuuuh… I mean, baseball !!".
(En même temps c'était pas de ma faute, quoi, à force de me faire mélanger tous
ces noms anglais et japonais, c'était normal que je finisse par faire une
erreur !) Bien sûr, tous les japonais de la salle sont morts de rire. Il faut
accepter d'être ridicule pendant l'immersion.
(Tout de même, si quelqu'un a un truc, une astuce pour faire
le switch et passer d'une langue à l'autre sans difficulté, n'hésitez pas à
vous manifester…)
Toutefois, si vous pensez que l'immersion n'a d'effet que
sur votre sens du langage, ce serait une grossière erreur ! Parce qu'elle
modifie également votre gestuelle. Je ne vous raconte pas le nombre de fois où
je me suis inclinée pendant ces deux dernières semaines… Je n'en suis pas
encore à marcher comme les petites japonaises, avec le sac qui pend au bras et
la main en l'air façon prout ma chère, les pieds en dedans et qui marchent à
petits pas, mais qui sait ? Peut-être que ça viendra un jour ?
Voilà, mes amis, vous avez un petit aperçu de ce par quoi je
passe en ce moment pour m'adapter à ma vie japonaise ! Une petite remarque tout
de même : si vous ne parlez pas un mot de japonais, ni d'anglais, et que vous
décidez de faire un échange au Japon, je vous souhaite bien du courage, parce
qu'avec mes cinq ans de japonais derrière moi, je galère profondément à
comprendre… (Et personne ne vous traduit jamais rien, même quand vous savez
pertinemment qu'ils en sont capables, ces fourbes !)
Mais enfin, c'est mieux comme ça. À la dure, j'obtiendrai
certainement des résultats !
Fight !
Le bonheur de découvrir dès le matin une nouvelle page sur ton blog ! quel régal!
RépondreSupprimerLes aléas de l'immersion, je connais ...avec les quiproquos inévitables...... ça peut donner lieu à de sacrés fou-rires mais aussi à de durs moments de solitude !!!!
Par contre, je t'en supplie, pas la démarche les pieds en dedans, avec les grandes chaussettes....NON!!!!Bisous
Mamounette.
Ohlala tu as bien raison pour la langue... J'ai hâte d'arriver à m'en sortir en japonais parce que pour l'instant c'est la galère ! Même en parlant très bien anglais (c'est pas le cas des japonais donc ça ne me sert pas à grand chose). Oui pour repréciser tout ça, je suis ici pour un an avec mon copain. Lui travaille en fait et moi pour l'instant je vais à l'école tous les matins pour apprendre le japonais. J'avais commencé en France mais avec le boulot et notre seule heure de japonais par semaine c'était presque rien. Bref, j'espère que je finirai à penser en japonais aussi, ça montre que tu t'en sors vraiment bien !
RépondreSupprimerCoucou !
RépondreSupprimerIci Jerem ^^ (Alias Azhiel, Asaliah, Tristan ... et j'en passe xD)
Juste pour dire que j'aime beaucoup ton blog, et que je trouve sympa le concept de faire partager ton aventure en terres nippones ! Pour nous qui sommes coincés sous le ciel gris du Nord français, c'est un petit moment de bonheur que de s'imaginer à ta place en te lisant :P (plaisir par procuration @@)! Et oui, c'est là qu'on se dit "Punaise, elle bien de la chance elle @@" et qu'on rajoute "Moi aussi j'irai au Japon un jour >.< Nah !" (Bon, peut être pas en tant qu'étudiant, le statut de touriste me suffira xD). Enfin bref, voilà, continue de donner de tes nouvelles !
Et profite bien !!
Un post super intéressant mais je n'ai trop rien à dire dessus XD.
RépondreSupprimerJuste qu'après deux-trois semaines avec beaucoup plus de contacts avec des japonais que l'an dernier (oui oui, je me suis motivé, je n'en suis pas encore arrivé à leur parler en japonais, à part deux trois mots, mais ça viendra), je comprends ce que tu veux dire par changement de façon de penser ou modifications gestuelles, il m'arrive de penser quelques mots en japonais (à force de les entendre parler, même s'il s'agit juste de petits mots comme "hontô ni ?"), et je me suis surpris à incliner le coup légèrement lorsque je salue mes clients ou à acquiescer ce que l'on me dit en faisant "hmm ! hmm !" avec des petits coups de tête XD.
Donc ce n'est pas le même genre d'immersion, mais je vois ce que tu veux dire, et rien que passer quelques soirées et activités avec des japonais qui parlent entre eux, ça aide beaucoup (à mon niveau, c'est à dire, très inférieur au tien XD) et ça fait vraiment avancer (et ça motive !).
En plus les japonais de cette année sont vraiment tous super sympas, et surtout moins timides que ceux de l'an dernier ^^.
Donc courage de ton côté ! Tu y arriveras ! et courage du nôtre aussi ! Fighto~ o//
(ah, HS aussi, mais bravo pour avoir réussi à intégrer un lecteur musical avec un système play/pause !)
Maman : ouais, t'as dû vivre ça aussi à Peralta ! Mais bon au moins t'avais papa pour faire la traduction quand tu comprenais pas ;)
RépondreSupprimerQuand je mettrai des grandes chaussettes je prendrai des photos pour toi ! :D
Tam : Oh d'accord, je vois ! J'espère que tu te plais bien au Japon quand même malgré le fait que ce soit difficile. Et j'espère que tu vas vite progresser avec tes cours de japonais ! Ca a pas été trop dur de faire les démarches officielles, l'enregistrement de l'alien card, l'ouverture de compte en banque et tout ça ?
Jerem : Merci pour le commentaire :D Ben je suis contente de voir que vous aimez ce blog, ça me fait plaisir ! J'pensais pas qu'il aurait autant de succès haha. Et si tu viens en touriste je peux faire la visite guidée hein \o/
Garvi : C'est ça que t'appelles trop rien à dire ? Ça m'a l'air plutôt beaucoup quand même XD Sinon c'est chouette pour les japonais de cette année, j'espère que vous vous amusez bien ^^
Et pour le lecteur c'est le même qu'avant hein, j'ai juste changé la chanson XD (pour mettre celle que tu détestes tant 8D)
Bah, je trouve que c'est juste un début ^^. J'espère pouvoir bien parler par la suite !
RépondreSupprimerOui oui, on s'amuse bien, dommage que tu ne sois pas là pour les connaitre, ils sont vraiment cool ^^. M'enfin, tu as une compensation plus que suffisante je pense XD.
Bah, avant le lecteur ne s'affichait pas chez moi Oo. Du coup je ne pouvais pas couper la musique, elle se mettait en marche dès que j'ouvrais une page (et oui, j'avoue que ça m'arrange de pouvoir mettre cette piste là en pause XD).
Ahahah moi c'est vrai, j'ai vraiment rien à dire à part que j'ai trouvé très rigolo ! XD
RépondreSupprimerLe coup de compter les gros nombre en français, ça nous arrive à tous XD
La démarche japonaise.... noooon.... ! Ça ne t'arrivera jamais de toute façon ! (j'ai l'impression de parler d'une maladie là oO)
Pour switcher... aucune idée ._. je me posais la questions pour mes cours d'espagnol à l'époque, où j'essayais de caser de l'anglais à tout bout de champs...)
Ganbatte~
Comme ta maman, je te supplie de ne pas marcher comme ça même après un an ... s'il te plait T.T
RépondreSupprimerBon en tout cas je suis contente que tu t'immerges petit à petit <3 Sois courageuse mais je n'en doute pas, patiente et tu vas avoir des résultats époustouflants !